La fabrication culturelle des nations européennes
ANNE-MARIE THIESSE
Les
nations européennes sont le fruit d'une construction historique. Les
intellectuels des xixe et xxe siècles en ont
forgé les symboles, les héros et les événements. Les romans
historiques, les monuments publics, les expositions universelles, les
musées et l'enseignement en ont assuré la propagation.
Le
xixe siècle européen a été le siècle des
nationalités. « Printemps des peuples », soulèvements,
répressions, batailles... L'histoire en est bien connue. Mais le
passage de l'Europe des princes à l'Europe des nations ne fut
seulement affaire d'insurrections, de sociétés secrètes et
d'alliances stratégiques. Il a été aussi préparé puis accompagné
par une grande révolution idéologique et culturelle, à travers
laquelle les nations ont été constituées comme êtres collectifs
et acteurs politiques. Les nations ne se sont pas « réveillées »
au siècle dernier pour s'affranchir de la tyrannie : elles
n'existaient pas auparavant.
On
définit aujourd'hui usuellement la nation comme « un groupe humain
généralement assez vaste, qui se caractérise par la conscience de
son unité (historique, sociale, culturelle) et la volonté de vivre
en commun » (définition fournie par le Petit Robert, édition
1996). Mais pour que s'exprime la volonté de vivre en commun, il a
fallu d'abord, pour chaque nation, non seulement développer la
conscience de cette unité, mais aussi la construire. Car elle ne
relevait, à la fin du xviiie siècle encore, que d'un
postulat, en total contraste avec les réalités sociales les plus
évidentes...